Yann Rabanier, lauréat du Grand Prix ETPA 2007, est venu aborder les portraits avec la section photographique. Pour cet expert du sujet, la photographie de portrait est avant tout une histoire de « bienséance entre le photographe et son modèle ».

Leçon d’un portraitiste

Cet artiste portraitiste a souhaité que les étudiants prennent conscience de l’empathie nécessaire au métier de photographe. Faire des portraits nécessite de réaliser une photographie, sans en oublier l’humain devant l’objectif. Pour Yann Rabanier, si l’étudiant arrive à faire en sorte que la séance soit aussi agréable pour lui que pour son modèle, alors il réussira à amener des images fortes (ou moins neutres) que ce qu’il a pu faire jusqu’à présent.

Le premier jour du workshop, Yann a échangé avec les étudiants pour apprendre à les connaître, mais également pour qu’ils connaissent son travail. De ce fait, il n’a pas hésité à montrer les travaux réalisés durant sa formation à l’ETPA, mais aussi ses photographies en tant que professionnel, dont les loupés, afin de pouvoir expliquer son fonctionnement durant les prises de vues (avant et après), et permettre aux étudiants de désacraliser la chose.

 

Quelques mots avec Yann Rabanier

Quels conseils as-tu tendance à donner aux étudiants, durant tes workshops ?

C’est très variable car j’essaie de donner des conseils spécifiques à chaque personne.

Cette semaine, je leur ai conseillé de se débrider. La personne face à eux n’est pas une marionnette en bois que l’on modèle avec de la lumière. C’est bien plus et, au-delà de l’enveloppe, des choses se passent. La photographie de portrait induit d’aller vers l’intime, de chercher des points communs ou des différences qui permettront d’alimenter une discussion et des réactions qui peuvent être touchantes. Le portrait est, selon moi, une danse que l’on doit mener sans pour autant dominer. C’est mettre l’autre en avant sans s’effacer sur le plan de la direction. C’est trouver avec l’autre l’équilibre entre ce que l’on veut mettre dans une image et ce que l’on doit faire.

 

Qu’est ce qui est le plus important pour toi lors de l’apprentissage de la photo ?

La curiosité est primordiale car elle fait partie de l’apprentissage personnel.

D’un point de vue technique, je pense que la logique de la lumière est essentielle. Je trouve d’ailleurs qu’elle est de plus en plus complexe à faire comprendre, notamment depuis l’arrivée du numérique. Au fil des années et de mes interventions à l’ETPA, je me rends compte que les élèves ont de plus en plus de mal à voir ce qu’ils font. Ce qui est d’ailleurs très contradictoire puisque le numérique leur permet d’avoir instantanément le résultat sous les yeux.

Il est indispensable de réussir à regarder. Or, je trouve que ce regard devient de plus en plus rare. Il faut que les étudiants réussissent à voir ce qui ne va pas et ce vers quoi ils veulent aller.

 

Que retiens-tu de ta formation à l’ETPA ?

Me concernant, la formation à l’ETPA a été très bénéfique. J’ai appris énormément de choses. Mais j’ai l’impression que c’était une ère différente. Avec le numérique, la photo se fait de façon plus légère, de façon plus mécanique. Cette année a été la première où je me pose autant de questions entre l’argentique et le numérique.

En tout cas je trouve génial le fait de pouvoir venir rencontrer la nouvelle génération de photographes de l’ETPA, de retrouver mes anciens professeurs qui sont devenus des amis. C’est toujours un véritable plaisir et un honneur d’intervenir à l’ETPA, de faire partie des professionnels qui viennent ici.

Mes années de formation à l’ETPA ont été mes meilleures années étudiantes ; et intervenir ici chaque année est comme un petit pèlerinage, pour moi. 

 

A-t-il été facile pour toi d’intégrer le monde de la photographie ?

J’ai intégré le monde de la photo par chance. Cela s’est fait en deux temps, alors que j’étais encore en dernière année de formation à l’ETPA.

Dans un premier temps, le journal Libération a fait appel à des étudiants en journalisme et en photographie pour un papier en 4ème de couverture. Ils ont donc appelé l’ETPA pour trouver un étudiant en photographie et ce fut moi. Mon travail leur ayant plu, j’ai continué de travailler pour eux par la suite. J’étais déjà très orienté portrait en arrivant en 3eme année.

Entre temps, nous avions eu un workshop avec Alain Duplantier, qui était l’intervenant de l’époque pour les portraits. Quelques temps après son intervention à l’école, il m’a appelé pour me demander si je pouvais faire un portrait à sa place dans un magazine car il n’était plus disponible pour le réaliser lui-même. Et tout a commencé ainsi.

Après cela, j’ai su que, pour mon dossier de 3ème année, je voulais réaliser un book efficace, me permettant de trouver du travail à la sortie de l’école. Je me suis donc consacré aux portraits de célébrités afin de pouvoir présenter mes travaux dans les rédactions sans avoir à préciser que j’étais fraîchement diplômé.

 

Comment t’imprègnes-tu de la personnalité de tes modèles, pour réussir à la faire transparaître à travers le médium photographique ?

Il faut de l’empathie pour faire ce boulot ! On est constamment en relation avec des gens.

Mais je ne cherche pas à m’imprégner de quelqu’un, je cherche plutôt la rencontre. Évidemment, cela dépend du portrait que l’on souhaite réaliser, mais personnellement je ne cherche pas à trouver exactement la personne que j’ai en face de moi. C’est plus une rencontre. Ce que je trouve intéressant ce sont les différentes façons dont l’on peut se comporter en fonction de la personne que l’on a en face. Lorsque je travaille, je m’imprègne du moment passé avec la personne. J’essaie de prendre en photo une rencontre, le souvenir d’un moment passé avec elle.

Je travaille sur l’échange ; je préfère la discussion au monologue.

 

Toi qui fais partie d’une agence, quel est leur avenir, selon toi ?

C’est un vaste sujet, notamment avec le ministre de la culture actuel qui dénigre la photographie. On passe en sous-catégorie dans l’art, dans sa représentation de l’art. J’adore l’opéra mais ce n’est pas pour autant que je classifie un art supérieur à un autre. Pour moi ce sont tous des supports pour faire vivre des choses aux autres par le biais de la catharsis. Il me paraît incompréhensible de sous grader un médium.

En l’occurrence, l’avenir des agences est un peu complexe. L’État subventionne les rédactions à hauteur de millions d’euros, mais cela n’empêche pas la plupart d’entre elles d’être en déficit. De ce fait, la plupart font appel à des agences comme MODDS pour leur acheter des images de célébrités et ainsi donner envie aux lecteurs. Toutefois, les vendeurs d’images ne sont pas forcément payés par les services de presse ; entrainant la fermeture de nombreuses agences.

Personnellement, je pense avoir de la chance car l’agence MODDS, dont je fais partie, se bat au quotidien pour valoriser les photographes dans la presse, pour défendre la photographie française ainsi que les droits d’auteur. Il faut être optimiste. L’agence MODDS c’est quand même Patrick Swirc et Jérome Bonnet ; des portraitistes qui font partie de l’écriture de la photographie française. Pour moi, il est inconcevable que cela périclite.