Anthony jean, miltant pour les droits de l'homme
Quel est ton parcours depuis la sortie de l’école ?
J'ai terminé ma troisième année en juin 2017, avec un prix spécial du jury, la même semaine je recevais également le prix spécial du jury au grand prix Paris Match du photo reportage étudiant 2017. J’étais également exposé sur les grilles de l'UNESCO pendant le mois de juillet à Paris pour la remise du prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix délivré à l'ONG SOS Méditerranée avec laquelle je pars couvrir les sauvetages de migrants au large des cotés libyennes. Tout cela m'a donné une bonne visibilité, et j'ai pu remonter pendant 2 mois à bord de l'Aquarius début septembre pour continuer mon travail sur ce massacre en mer aux portes de l'Europe. Je travaille encore avec ces images.
Pourquoi avoir choisi le reportage photo ?
Cela fait des années que je milite, je vois l'appareil photo comme un outil indispensable dans la lutte. Je crois au pouvoir des images à véhiculer des idées, à témoigner qu'il puisse y avoir une opposition, des mains levées, une alternative, des étincelles de démocratie... Il faut que ma photo ait du sens, si elle a un impact alors tant mieux, en tous les cas, elle est un témoignage pour l'Histoire.
Qu'est-ce qui t'a poussé à choisi ce sujet ?
J'avais 26 ans quand je me suis retrouvé au début du printemps arabe à couvrir la lutte du peuple sahraoui en territoire occupé au Sahara occidental, j'enchaînais l'année suivante sur les camps de réfugiés en Algérie ; j'ai ensuite voulu comprendre le conflit israélo-palestinien, puis est arrivé le conflit syrien ou je suis allé couvrir les arrivées de réfugiés sur les plages grecques : ce sujet est la suite logique de mon travail. La Méditerranée est l'axe migratoire le plus mortel au monde. Il y a 50 000 corps au fond de l'eau dans l’indifférence générale. Mais ce n'est de la "breaking news", je ne vais pas prendre en photo des gens qui se noient, je vais photographier une société civile qui se mobilise pour affréter des bateaux afin de porter assistance à des milliers de gens qui essaient de fuir l'enfer libyen. Photographier un peuple européen qui se met au devoir de faire le boulot de nos Etats.
Comment as-tu pu entrer en contact avec les migrants ?
C'est eux qui essaient de rentrer en contact avec nous en nous criant à l'aide. Il suffit juste de tourner notre attention vers le nord de l'Afrique, l'Europe de l'est, vers nos centres de rétention, nos CADA en France... les migrants sont partout autour de nous, c'est une réalité.
Quel est le message que tu souhaites véhiculer ?
Il est inadmissible que des gens qui quittent leurs foyers pour fuir une guerre, la détresse économique, un changement climatique, partent sur les grandes routes du monde et rencontrent dans leur malheur de telles difficultés à nos portes. Il faut arrêter d'avoir peur de l’étranger et l’accueillir plutôt comme une richesse. Il y a un droit des peuples à pouvoir se déplacer librement sur la terre.On sait que toutes les vagues migratoires qui ont marqué l'histoire de notre continent ont été bénéfiques. On voit que tous les pays ayant mis en place les meilleurs systèmes d’intégration en perçoivent déjà des retours positifs à court terme dans tous les domaines (notamment dans l'art). Ce n'est pas une question de terre d'accueil, c'est une question de dignité humaine et d'entraide entre les peuples. Il y a des milliers de personnes qui se lèvent pour dire non et aider tous ces gens en détresse, dans les montagnes des Alpes, comme sur les eaux internationales en méditerranée, comme dans chaque département en France...
Sur un travail tel que celui-ci, quelle est l'influence de ton apprentissage à l’ETPA ?
L’école m'a d’abord appris à me servir d'un appareil photo, à faire ses armes sur tous les outils informatiques et le matériel nécessaire à la photo numérique d'aujourd'hui, puisque ce sont ceux dont j'ai besoin sur le terrain. Puis, j'ai découvert le monde de l'image, ses codes de lecture et d’écriture pour raconter quelque chose dans un cadre, la sémiologie, l'editing. Comme dit Remi Carayon, enseignant à l'ETPA : "il est facile de faire une bonne image sur un sujet, mais faire dix bonnes images cohérentes sur le même sujet, cela s'apprend".
Quels conseils donnerais-tu aux étudiants qui souhaitent se lancer dans le reportage ?
C'est un apprentissage qui ne s’arrête pas à la sortie de l’école. Mais il faut d'ores et déjà comprendre que le temps de shooting pur sur le terrain ne représente que 3% du boulot ; il faut apprendre à parler de son image, monter ses projets, les faire vivre, frapper à des milliers de portes, essuyer les refus et s'autofinancer les sujets. Il faut y croire, écouter sa petite musique, écouter les conseils des expérimentés. C'est un boulot de loup solitaire, de convictions et de questionnements. Explorer l’humanité dans ce qu'elle peut faire de plus beau et de plus cruel, c'est une vie d’imprévus et de rencontres folles ; une approche du monde dans cet état de présence à le photographier avec respect et précision.
Des projets ?
Avec d'autres amis photographes nous montons un collectif pour répondre à toutes sortes de commandes. Parallèlement, je compte évidemment repartir au large des côtes libyennes pour approfondir le sujet des sauvetages en haute mer sur lequel je travaille depuis maintenant un an. Cette année, je participe également à un gros projet sur 2 ans avec plusieurs photographes sur un état de lieux des plus grands camps de réfugiés de la planète. Je souhaite également intégrer une agence.
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