À la lueur des entrailles - Tao Douay
Serge Dejean, professeur de philosophie, historien de l’art et auteur
Ce projet au long cours évolue patiemment d’année en année. Depuis son premier halo, il n’a cessé d’explorer l’être dans toute sa finitude. Tout commence par un voyage personnel à travers « la lueur des entrailles ». Un questionnement irrépressible sur la place du père, des origines familiales et l’obsession de la mort. Passage inévitable dans l’intime purgatoire. Réponses partielles mais primordiales à un « qui suis-je » pesant.
Ouverture faite, l’individuel renoue avec le collectif. Les questions affluent, certaines reviennent et subsistent.
La vie, la mort, comment cela procède-t-il ?
Cette exploration remonte intuitivement aux origines, à « la fusion des entrailles ». L’instant même de l’union de corps procréateurs. Lorsqu’ils ne forment plus qu’une entité chimérique, éphémère par nature. Acte surnaturel dans ses soubassements et ô combien puissant. Point de départ d’un nouveau cycle, vie et mort se scellent dans une révolution éternelle.
L’agitation sourde de la gestation fait survenir « la naissance des entrailles ». Un voyage pénétrant la mise au monde comme mise à mort, l’accouchement des corps et l’accouchement des âmes. Une présence exclusivement féminine illumine les sels d’argent. Les chairs s’ouvrent, les esprits s’éveillent et s’élèvent avant de disparaitre à nouveau. Les ténèbres précèdent la lumière puis la succèdent telles des étoiles scintillantes. Donner la vie n’est-ce pas donner la mort ?
Son œuvre
D’emblée, les spectres sont là. Des photos en noir et blanc argentique de format carré imposent l’évidence des revenants, des fantasmes et des fantômes, du dédoublement entre les morts et les vivants, de ce qu’il appelle « la lueur des entrailles »… Un des plus grands penseurs du XX° siècle Gilles Deleuze affirmait qu’on reconnaissait un artiste à son obsession et qu’il fallait demander à un artiste qu’elle était son obsession. L’obsession de Tao Douay ne prend pas de détours, elle est dans le fameux « Tout passe » du philosophe grec Héraclite. Tout passe, tout est emporté par le temps, tout finit par être détruit, le temps et la mort font que l’homme qui est là ensuite n’est plus là… Sauf que la photographie garde une trace de celui qui avait été là; elle est capable de faire « revenir » le mort. La photographie est par excellence l’art des spectres et Tao Douay entre en photographie, comme Hamlet, entre en scène au début de l’acte I de la pièce de Shakespeare.
Et si la mort n’était pas l’engloutissement dans l’obscurité mais l’ouverture vers la clarté ? Qu’y a-t-il « audelà des entrailles » ? Dès lors il est difficile d’échapper au contexte dans lequel nous vivons, et surtout duquel nous venons. Conditionnement inconscient ancestral qui vit en nous, et nous fait vivre, sans que l’on s’en aperçoive. Les représentations religieuses nous ont forgé un certain imaginaire de l’au-delà. Les philosophes en parlent, supposent, affirment, parient. Les scientifiques calculent, et comme pour le « Big Bang », s’en approchent au plus près, sans pouvoir dépasser le moment précis où tout bascule. Autrement dit personne ne sait vraiment, pourtant tout le monde saura. Et puisque tout est cyclique, nous l’avons certainement tous su. C’est dans ce prétendu savoir que repose la quête photographique de l’« au-delà des entrailles ». La voie offerte par le monde des rêves est une précieuse adjuvante. Se mêlent alors symboles collectifs et sentiments individuels, hérités depuis toujours ou depuis peu, dans une tentative d’imager l’ineffable.
Le fondement authentique et la vérité propre qui incombent à ce projet ne prétendent aucunement suppléer l’indicible réalité de la vie et de la mort. Cette dernière ne peut d’ailleurs être exprimée que par le négatif, puisqu’elle est totalement inconnaissable. Néanmoins, une affirmation est certaine, la mort rattrape tout ce qui vit, sans distinction.
(source)
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