Focus sur Philippe Grollier
Philippe Grollier, ancien étudiant de l'ETPA en photographie et enseignant praticien, expose ses séries sur l'Irlande du Nord. Ce travail a été réalisé dans le cadre du Prix Fidal 2016. Son exposition se déroulera à la Galerie Sparts, du 7 au 24 novembre 2018.
Interview à chaud :
Pourquoi avoir choisi ce projet engagé ?
J’ai découvert l’Irlande du Nord en 2002, pendant des vacances estivales. J’ai été choqué par ce que j’y ai vu : les hélicoptères en stationnaire au-dessus de Belfast, des véhicules de polices blindés, des contrôles routiers tenue en joue par des militaires… En Europe, à seulement 2 heures d’avion de Paris. Je me rappelle alors les images que je voyais à la télévision gamin sans rien y comprendre. Ça parlait d’attentats, d’Irlande, d’IRA (s). J’ai décidé alors de creuser le sujet, et j’ai commencé à apprendre l’histoire de l’Irlande et des Irlandais. Dans un livre « Avoir Vingt à Belfast », Sorj Chalandon parle des accords de paix de 1998, signés 4 ans plus tôt. Je réalise alors que personne ne se soucie plus du pays et des troubles qui ont marqué la fin du vingtième siècle
Peux-tu nous parler de ta série exposée ?
Il y a plusieurs series, ci joint les textes correspondants :
Peacewall
Ils sont au nombre de 99. Quatre-vingt-dix-neuf « murs de la paix » faits de briques et de tôles, parfois rehaussés de grillages, destinés à séparer les communautés catholiques et protestantes, à Belfast. En dépit de l'accord de paix signé en 1998, les cicatrices de la guerre civile sont toujours visibles dans les rues de la capitale d’Irlande du Nord. Et la cohabitation apaisée entre les communautés n'est toujours qu'une utopie dans cette province de 2,1 millions d’habitants. Aujourd'hui encore, les enfants catholiques et protestants ne partagent pas les mêmes bancs à l'école, ne vont pas dans les mêmes clubs de sport, car à Belfast, hormis le centre-ville, seuls 5 % des quartiers sont mixtes. Les habitants des zones disposant d’un mur de la paix ne se sentent pas suffisamment en sécurité pour imaginer que ces barrières symboliques puissent tomber prochainement. Pourtant, leur destruction est programmée à l'horizon 2023 par le gouvernement nord-irlandais.
No Border
L'accord du Vendredi saint ou accord de Belfast, signé en 1998, a marqué la fin de trois décennies [1969-1998] de conflits armés entre loyalistes pro-anglais et républicains irlandais. L'un des termes des accords de paix notifiait la suppression de la frontière physique et des checkpoints entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord (Royaume-Uni). Si la paix a été maintenue ces vingt dernières années, grâce aux fonds européens pour la paix et la réconciliation en Irlande du Nord, le vote pour le Brexit met celle-ci en danger. Les tensions et les attaques entre les deux communautés n'ont jamais été aussi élevées depuis vingt ans. Des négociations sont en cours pour établir une frontière flexible (appelé backstop ou « filet de sécurité ») jusqu’à 2020, avec une frontière ouverte, qui laisserait l’Irlande du Nord dans l’union douanière de l’Union européenne (UE). Mais les Britanniques, et Theresa May en particulier, ne le souhaitent pas, craignant, à terme, l’unification de facto de l’île d’Irlande et donc la sortie de la province nord irlandaise du Royaume-Uni. Mais, au quotidien, une frontière dure, ce serait, entre autres désagréments, le rétablissement des contrôles, ce qui est impensable pour les républicains irlandais. Ainsi que pour l’UE et le Royaume-Uni.
The Strand
Short Strand est la seule enclave irlandaise d’environ 2 000 âmes à être noyée dans la partie est de Belfast, presque à 100 % loyaliste. Le Strand est entouré de murs surmontés de grillages pour parer à toute attaque sectaire. Beechfield Street et Madrid Street sont coupées en deux, et les rues dessinées par les services secrets britanniques n’ont qu’une issue. Chaque été, le quartier est verrouillé par la police afin que les loyalistes de toute l’Irlande du Nord puissent y parader au son des marches militaires. Un autre mur, en métal cette fois, renforcé par des blindés, ceinture le quartier. Nul n’entre ou ne sort. Ceux qui travaillent à l’extérieur doivent prendre un jour de congé.
Sons of Peace
Ils sont nés entre 1998 et 2000. Ils sont la première génération à grandir dans un pays pacifié, après des dizaines d’années de « troubles ». « Our revenge will be the laughter of our children » (Notre vengeance sera le rire de nos enfants), disait Bobby Sands, symbole de la lutte nationaliste irlandaise et de l’IRA. Lorsqu’ils parlent du conflit aujourd’hui, les teenagers ne veulent pas laisser filer leur chance. Pour les plus aisés d’entre eux, ils ne retourneront pas en arrière. Pour ceux des classes défavorisées, le Brexit risque de rallumer des braises encore chaudes. Bullet proof windows Les peacewalls et interfaces sont les remparts visibles aux violences communautaires. Pour prévenir les attaques ciblées, les habitations sont aussi équipées de fenêtres pare-balles (Bullet proof windows), parfois surmontées de grillages. On les remarque dans New Lodge, Ardoyne, Short Strand, grâce à leurs teintes bleu-vert plus denses. Leur mise en place est subventionnée par le gouvernement… Ce n’est pas sans rappeler le principe américain de poser des détecteurs à l’entrée des universités au lieu d’abolir le port d’arme.
Avec quoi as-tu travaillé ?
Chambre 4X5 en argentique, et moyen format GFX prêté par Fuji en numérique (partenariat Fujifilm depuis 2 ans)
Parallèlement, tu enseignes à l’ETPA, comment lies-tu les 2 ? quel est ton rapport à l’enseignement et aux étudiants ?
Je continue à travailler comme photographe en commande presse ou communication. Ce qui me permet de financer et de prendre le temps de produire des travaux personnels. J’ai commencé à enseigner il y a 3 ans, par envie de nouvelles expériences et de vouloir transmettre aux futurs photographes, ce qui est très passionnant. J’essaye d’utiliser mon expérience pour mettre les étudiants dans une démarche d’auteur. Le but étant pour moi de les mettre dans une dynamique de création, d’anticiper les prises de vue, de créer des histoires et trouver leur propre écriture
As-tu des conseils à donner aux étudiants ?
Produire, être curieux, regarder observer, se nourrir l’œil d’images, de peinture, de films… Plus ils auront de bagages culturels, plus ils seront à l’aise dans leur travail.
Quels sont tes projets ?
Toujours les accords de paix en Irlande du nord. La prochaine série sera réalisée après le Brexit. J’ai commencé un autre projet en France, La ville des Fous que je pense finir fin 2019.
Vernissage mardi 6 novembre 2018 de 18h à 21h - Galerie Sparts - 41, rue Seine Paris (6e)
Pour en savoir plus sur le travail de Philippe Grollier :
site : https://www.philippegrollier.com/
Instagram : https://www.instagram.com/phgpphg/
Facebook : https://www.facebook.com/philippe.grollierphotography